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UN ARRET INTERRESSANT de la

par Maitre B DRAVET

(JUR) Adoption d’un enfant et rupture avec la mère biologique malgré l’opposition de celle-ci

 
 

La requérante est une ressortissante nigériane résidant en Espagne. À l’époque des faits, elle vivait en situation irrégulière en Espagne et demanda que son fils fût placé sous tutelle dans un centre d’accueil en raison de difficultés personnelles et familiales (absence de ressources, de logement et de travail, difficultés au sein du couple). Le lendemain, l’enfant fut déclaré en situation d’abandon et placé dans un centre d’accueil. Le mois suivant, sa mère fut informée que la mesure envisagée était l’accueil familial et que son fils pourrait réintégrer sa famille biologique à moyen terme à condition que ses parents réalisent certains objectifs.

Le même mois, la commission d’évaluation proposa la mise en œuvre d’une mesure d’accueil familial préadoptif, estimant que la mère n’assistait pas à toutes les visites, qu’elle faisait preuve de détachement à l’égard de son enfant lors de ses visites et que sa situation personnelle était très instable. Il fut également précisé que la mère ne s’opposerait pas à l’accueil familial de l’enfant mais qu’elle insistait pour que cette mesure ne la prive pas de contacts avec son fils.

La direction générale de la famille et de l’enfance (DGFE) suspendit les visites en raison d’un manque d’assiduité de la mère aux visites programmées et des difficultés de cette dernière à établir un lien affectif avec l’enfant, puis demanda au juge de placer provisoirement l’enfant en accueil familial préadoptif et de déchoir la mère de son autorité parentale. Le mineur fut effectivement placé par décision judiciaire.

La mère fit opposition contre la décision judiciaire de placement en accueil familial. Sa demande fut rejetée mais son appel fit droit à sa demande, estimant que l’adoption de l’enfant ne pouvait avoir lieu sans le consentement de la mère et la mesure d’accueil préadoptif fut annulée.

Un mois plus tard, la requérante demanda à être autorisée à rendre visite à son fils. Face au silence de l’administration, elle forma un recours judiciaire et le juge de première instance lui accorda un droit de visite d’une heure par mois lors de visites supervisées dans un point de rassemblement familial géré par l’administration.

Sur de nouvelles demandes de la DGFE, l’Audiencia provincial autorisa l’adoption du fils de la requérante, considérant que l’absence de consentement de la mère biologique n’était pas un obstacle si l’adoption était conforme à l’intérêt du mineur.

Les parties ne contestent pas, et la Cour estime établi de manière non équivoque, que les décisions litigieuses prononcées au cours des procédures administratives et judiciaires ayant abouti à l’adoption de l’enfant de la requérante s’analysent en une ingérence dans l’exercice par cette dernière du droit au respect de la vie privée et familiale tant de la requérante que de son enfant biologique, tel que garanti par le paragraphe premier de l’article 8 de la Convention. Il n’est par ailleurs pas contesté non plus que cette ingérence était prévue par la loi et qu’elles poursuivaient des buts légitimes, à savoir la « protection des droits et libertés » de l’enfant.

Dans une affaire comme celle de l’espèce, le juge se trouve en présence d’intérêts souvent difficilement conciliables, à savoir ceux de l’enfant, ceux de ses parents biologiques et ceux de la famille d’accueil préadoptif et ultérieurement d’adoption. Dans la recherche de l’équilibre entre ces différents intérêts, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

La Cour observe que, en l’espèce, les autorités administratives ont motivé leurs décisions concluant à la nécessité de l’accueil familial préadoptif du fils de la requérante en se référant à l’absence de ressources des parents de l’enfant, qui se trouvaient en situation irrégulière et sans emploi ni logement stable, à la situation de crise et de conflit qui aurait existé entre la requérante et le père de l’enfant et au sentiment ambivalent de la mère à l’égard de son bébé. La Cour note que, bien que l’autorité parentale de la requérante fût suspendue au moment de la mise sous tutelle de son enfant par l’administration, le régime des visites était toutefois maintenu.

La Cour observe également que les autorités administratives avaient envisagé que l’enfant puisse réintégrer sa famille biologique pour autant que le parent prenant en charge l’enfant réalise certains objectifs. Elle note toutefois qu’à aucun moment de la procédure administrative n’a eu lieu une évaluation de l’assistance menée par ce service, laissant à la seule charge de la requérante les efforts à réaliser afin de parvenir à accomplir les objectifs mentionnés.

La Cour observe en outre que la décision de la commission d’évaluation du gouvernement de Navarre de proposer la mise en œuvre de l’accueil familial préadoptif de l’enfant est intervenue à peine vingt jours après que la requérante ait été informée que son fils serait placé dans une famille d’accueil et qu’elle se verrait octroyer un délai de six mois pour réaliser des objectifs tendant au retour de son enfant auprès d’elle. La décision prenait note que la requérante insistait sur ce que l’accueil familial préadoptif de son enfant ne devait pas la priver de contacts avec lui. La Cour constate que l’intéressée en a toutefois été privée par une décision qui a également décidé de proposer au juge, bien avant le délai de six mois fixé dans la lettre, de la déchoir de son autorité parentale afin de pouvoir déclarer l’adoption du mineur sans le consentement de sa mère.
La Cour note que la requérante a maintenu, malgré ses défaillances personnelles et professionnelles et son manque d’aptitude parentale, son opposition ferme à la privation, tant de son droit de visite que de son autorité parentale. Elle constate que la DGFE a soutenu dans son rapport qu’à supposer même que la requérante parvînt à remplir ces conditions, le retour de l’enfant auprès de sa mère biologique ne serait plus possible, en raison du passage du temps.

La Cour est pleinement consciente de l’intérêt prépondérant de l’enfant dans le processus décisionnel. Le processus qui a abouti à l’autorisation de l’adoption en l’espèce révèle toutefois que les autorités internes n’ont pas cherché à se livrer à un véritable exercice de mise en balance entre les intérêts de l’enfant et ceux de sa mère biologique mais qu’elles se sont concentrées sur les intérêts de l’enfant au lieu de s’efforcer de concilier les deux ensembles d’intérêts en jeu, et que, de surcroît, elles n’ont pas sérieusement envisagé la possibilité de réunion de l’enfant et de sa mère biologique malgré la teneur de la lettre et l’insistance de la requérante tout au long des différentes procédures ayant finalement abouti à l’adoption de son fils. Dans ce contexte, la Cour n’est pas convaincue que les autorités internes compétentes aient dûment pris en compte les efforts entrepris par la requérante pour régulariser et stabiliser sa situation. Par ailleurs, la requérante a peiné par son insistance et la cohérence de ses demandes pour que son droit à rendre visite à son fils soit finalement reconnu par le juge de première instance dans le cadre de rencontres supervisées, dans un point de rassemblement familial géré par l’administration malgré l’opposition de cette dernière.

De plus, la Cour estime qu’il est significatif qu’aucune visite mère-fils n’ait eu lieu depuis l’accueil de l’enfant dans sa famille d’accueil alors que le droit de visite de la requérante lui avait été expressément reconnu par l’administration. Au contraire, ce droit lui fut retiré sans qu’aucune expertise psychologique de l’intéressée n’ait été produite pour démontrer le prétendu manque d’aptitude parentale de cette dernière. Pour la Cour, ceci a considérablement restreint l’appréciation factuelle de l’évolution de la situation de la requérante et de ses aptitudes parentales à l’époque considérée. Si des visites n’ont pas eu lieu au début du placement de l’enfant de la requérante, celles-ci n’ont pas non plus eu lieu par la suite, malgré le jugement du juge de première instance qui se prononçait expressément sur cette question et auquel l’administration a passé outre.

Le passage du temps a donc eu pour effet de rendre définitive une situation qui était censée être provisoire, compte tenu du très jeune âge de l’enfant lorsque la situation légale d’abandon a été constatée et que la mise sous tutelle est intervenue. La Cour tient à souligner à cet égard que les juridictions internes ont repris et réitéré l’affirmation relative au prétendu manque de compétences parentales de la requérante sans toutefois procéder à des expertises indépendantes qui auraient pu faire état d’une éventuelle évolution à cet égard depuis le début de la procédure.

Tout en reconnaissant qu’en l’espèce les juridictions internes se sont appliquées de bonne foi à préserver le bien-être du mineur, la Cour constate de graves manques de diligence dans la procédure menée par les autorités responsables de la tutelle, du placement de l’enfant et de son adoption, et notamment une inertie de ces dernières dans la prise en compte des conclusions des rapports élaborés et des décisions prises par les différents organes de l’administration intervenus tout au long de l’examen de affaire. Elle note, en outre, que le Gouvernement n’a pas démontré que des suites aient été données à la décision de l’Audiencia provincial selon laquelle une possibilité d’une « forme de relation ou de contact au travers de visites ou de communications avec la mère biologique » pouvait être explorée si cela devait correspondre à l’intérêt supérieur du mineur.

Le placement sous tutelle de l’administration de l’enfant de la requérante est compréhensible puisque c’était sa propre mère qui le demandait mais cette décision aurait dû s’accompagner dans les meilleurs délais des mesures les plus appropriées permettant d’évaluer en profondeur la situation de l’enfant et ses rapports avec ses parents, au besoin avec le père et la mère séparément, le tout dans le respect du cadre légal en vigueur. Cette situation était particulièrement grave compte tenu de l’âge de l’enfant, qui avait à peine deux mois lors de son placement sous tutelle à Pampelune. La Cour constate que les autorités administratives n’ont pas envisagé d’autres mesures moins radicales prévues par la législation espagnole telles que l’accueil temporaire ou accueil simple, non préadoptif, qui est également plus respectueux des parents d’accueil dans la mesure où il ne crée pas de faux espoirs. Le rôle des autorités de protection sociale est précisément d’aider les personnes en difficulté, en l’espèce notamment la mère de l’enfant, qui s’est vue contrainte de placer volontairement son fils compte tenu de la gravité de sa situation personnelle et familiale. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

 
 
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